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Et c’est justement pour cela que la Bastille de France, la Bastille de Paris (j’aimerais mieux dire la prison de la pensée), fut, entre toutes les bastilles, exécrable, infâme et maudite. Dès le dernier siècle, Paris était déjà la voix du globe. La planète parlait par trois hommes : Voltaire, Jean-Jacques et Montesquieu. Que les interprètes du monde vissent toujours pendue sur leur tête l’indigne menace, que l’étroite issue par où la douleur du genre humain pouvait exhaler ses soupirs, on essayât de la fermer, c’était trop… Nos pères l’écrasèrent, cette Bastille, en arrachèrent les pierres de leurs mains sanglantes, les jetèrent au loin. Et ensuite ils les reprirent, et le fer leur donna une autre forme, et pour qu’à jamais elles fussent foulées sous les pieds du peuple, ils en bâtirent le pont de la Révolution…

Toutes les prisons s’étaient adoucies. Celle-ci s’était endurcie. De règne en règne, on diminuait ce que les geôliers appelaient pour rire : les libertés de la Bastille. Peu à peu, on bouchait les fenêtres, on ajoutait des grilles. Sous Louis XVI, on supprima le jardin et la promenade des tours.

Deux choses vers cette époque ajoutèrent à l’irritation, les Mémoires de Linguet, qui firent connaître l’ignoble et féroce intérieur, et, ce qui fut plus décisif, l’affaire de Latude, non écrite, non imprimée, circulant mystérieusement en passant de bouche en bouche.

Pour moi, je dois avouer l’effet profond, cruel que me firent les lettres du prisonnier. Ennemi déclaré