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HISTOIRE DE FRANCE

génie allemand communiqua aux lettres la fécondité de la vie ; il en trouva la génération ; il fit qu’elles s’engendrassent et se fécondassent de mâle en femelle, de poinçons en matrices : le monde, ce jour-là, entra dans l’infini.

Dans l’infini de l’examen. Cet art humble et modeste, sans forme ni parure, agit partout, remua tout avec une puissance rapide et terrible. Il avait beau jeu sur un monde brisé. Toute nation l’était, l’Église autant qu’aucune nation ; il fallait que tous fussent brisés pour se voir au fond et bien se connaître. Grain d’orge ne saurait, sans la meule, ce qu’il a de farine[1].

Notre dauphin Louis, liseur insatiable, avait fait venir sa librairie de Dauphiné en Brabant[2] ; il dut y recevoir les premiers livres imprimés. Nul n’aurait mieux senti l’importance du nouvel art, s’il était vrai, comme on l’a dit, qu’à son avènement il eût envoyé à Strasbourg pour faire venir des imprimeurs. Ce qui est sûr, c’est qu’il les protégea contre ceux qui les croyaient sorciers[3].

Ce génie inquiet reçut en naissant tous les instincts modernes, bons et mauvais, mais par-dessus tout l’impatience de détruire, le mépris du passé ; c’était un esprit vif, sec, prosaïque, à qui rien n’imposait, sauf un homme peut-être, le fils de la fortune, de l’épée et de la ruse, Francesco Sforza[4]. Pour les rado-

  1. On connaît la ballade anglaise du martyre de Grain d’orge, moulu, noyé, rôti, etc.
  2. Ms. Legrand.
  3. App. 182.
  4. Sforza et le dauphin, son admirateur, s’entendaient à merveille. Sforza