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HISTOIRE DE FRANCE

amusement quotidien, une joute burlesque, un tournoi à ânes, moquerie durable de la chevalerie qui dût déplaire à bien des gens.

Le beau portrait que Godefroi donne de Jacques Cœur d’après l’original, et qui doit ressembler, est une figure éminemment roturière (mais point du tout vulgaire), dure, fine et hardie. Elle sent un peu le trafiquant en pays sarrasin, le marchand d’hommes. La France ne remplit que le milieu de cette aventureuse vie[1], qui commence et finit en Orient ; marchand en Syrie dès 1432, il meurt en Chypre amiral du Saint-Siège. Le pape, un pape espagnol, tout animé du feu des croisades, Calixte Borgia, l’accueillit dans son malheur et l’envoya combattre les Turcs.

C’est ce que rappelle à Bourges la chapelle funéraire des Cœurs. Jacques y paraît transfiguré dans les splendides vitraux sous le costume de saint Jacques, patron des pèlerins ; dans ses armes, trois coquilles de pèlerinage, triste pèlerinage, les coquilles sont noires ; mais entre sont postés fièrement trois cœurs rouges, le triple cœur du héros marchand. Le registre de l’Église ne lui donne qu’un titre : « Capitaine de l’Église contre les infidèles. » Du roi, de l’argentier du roi, pas un mot, rien qui rappelle ses services si mal reconnus ; peut-être, en son amour-propre de banquier, a-t-il voulu qu’on oubliât cette mauvaise affaire qui sauva la France[2], cette faute d’avoir pris un trop puissant

  1. Né à Bourges, mais, je crois, originaire de Paris. App. 164.
  2. Il ne faut pas oublier dans quelle misère s’était trouvé Charles VII. La chronique raconte qu’un cordonnier étant venu lui apporter des souliers, et