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HISTOIRE DE FRANCE

court[1] ? Ce Braquemont de Sedan, qui n’était qu’un arrière-vassal de l’évêque de Liège, ayant passé en Espagne, couru les mers, cherché son aventure, avait fini par léguer à son neveu, au Normand Béthencourt, la royauté des Iles fortunées !… Plus loin encore, les pilotes de Dieppe avaient fait sur la grande terre d’Afrique, parmi les hommes noirs, un Rouen, un Paris[2]. Le propre frère de la duchesse de Bourgogne, don Henri, prince-moine[3], s’était bâti son couvent sur la mer, dirigeant de là ses pilotes, leur traçant la route, et dans sa longue vie fondant peu à peu des forts portugais sur les ruines des comptoirs normands.

Cette patience n’allait pas à un si grand souverain que le duc de Bourgogne, tout cela était lent et obscur. L’Orient seul était digne de lui, l’Orient, la croisade !… Qui devait défendre la chrétienté, sinon le premier prince chrétien ? L’Antéchrist était à la porte, on ne pouvait guère en douter. Nul signe n’y manquait. Le Turc, ses effroyables bandes de renégats habillés en moines, sous leur barbare et burlesque attirail[4], ce monstre, n’était-ce pas la Bête ?…

Les Grecs venaient de succomber, Constantinople avait été prise par Mahomet II, justement deux mois

  1. App. 158.
  2. Vitet.
  3. Grand maître de l’ordre d’Avis. Il avait pris pour devise ces paroles françaises que les Portugais gravèrent dans tous leurs établissements : Talent de bien faire.
  4. Je parle surtout du corps qui fit la force réelle des armées turques, des janissaires ; ils étaient, comme on sait, affiliés aux Derviches, ils en portaient à peu près le costume. De plus, comme commensaux du sultan, ils avaient sur la tête des cuillers au lieu de plumets ; le palladium de chaque corps était sa marmite, les chefs s’appelaient cuisiniers, faiseurs de soupes, etc.