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HISTOIRE DE FRANCE

ries, peuple, bannières, tout branlait au même son, un son lugubre qu’on n’entendait que dans les grandes crises, au moment de la bataille ou quand la ville était en feu. Cette note uniforme et sinistre de la monstrueuse cloche était : Roland ! Roland ! Roland[1] ! C’était alors un profond trouble, tel que nous ne pouvons guère le deviner aujourd’hui. Nous, nous avons le sentiment d’une immense patrie, d’un empire ; l’âme s’élève en y songeant… Mais là, l’amour de la patrie, d’une petite patrie, où chaque homme était beaucoup, d’une patrie toute locale, qu’on voyait, entendait, touchait, c’était un âpre et terrible amour… Qu’était-ce donc, quand elle appelait ses enfants de cette pénétrante voix de bronze ; quand cette âme sonore, qui était née avec la commune, qui avait vécu avec elle, parlé dans tous ses grands jours, sonnait son danger suprême, sa propre agonie… Alors, sans doute, la vibration était trop puissante pour un cœur d’homme ; il n’y avait plus en tout ce peuple ni volonté, ni raison, mais sur tous un vertige immense… Nul doute qu’ils auraient dit alors comme les Israélites à leur Dieu : « Que d’autres parlent à ta place, ne parle pas ainsi toi même, car nous en mourrons ! »

Tous prirent les armes à la fois, de vingt ans jusqu’à soixante ; les prêtres, les moines ne voulurent point être exceptés. Il sortit de la ville quarante-cinq mille hommes.

  1. Voy. t. III, App. 21.