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HISTOIRE DE FRANCE

jamais pu accomplir l’énorme travail de rendre cette terre habitable, en sorte qu’elles pouvaient dire, avec quelque apparence : « Nous gouvernons la Flandre, mais c’est nous qui l’avons faite. »

Ce gouvernement, pour être une gloire, n’en était pas moins une charge. L’artisan payait cher l’honneur d’être de « Messieurs de Gand ». Sa souveraineté lui coûtait bien des journées de travail ; la cloche l’appelait aux assemblées, aux élections, fréquemment aux armes. L’assemblée armée, le wapening, ce beau droit germanique qu’il maintenait si fièrement, n’en était pas moins un grand trouble pour lui. Il travaillait moins, et d’autre part, dans ces populeuses villes, il payait les vivres plus cher. Aussi, quantité de ces ouvriers souverains aimaient mieux abdiquer et s’établir modestement dans quelque bourg voisin, vivant à bon marché, fabriquant à bas prix, profitant du renom de la ville, détournant ses pratiques. Celle-ci finissait par interdire le travail à la banlieue. La population se portait plus loin, dans quelque hameau qui devenait une petite ville, dont la grande brisait les métiers[1]. De là des haines terribles, d’inexpiables violences, des sièges de Troie ou de Jérusalem autour d’une bicoque[2], l’infini des passions dans l’infiniment petit,

Les grandes villes, malgré les petites, malgré le comte, auraient maintenu leur domination, si elles

  1. App. 137.
  2. La plus terrible de ces histoires n’est pas, il est vrai, flamande, mais du pays wallon ; c’est la guerre de Dinant et de Bovines sur la Meuse. Voy. le tome suivant.