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HISTOIRE DE FRANCE

L’Angleterre l’a refoulée durement sur elle-même, l’a forcée de rentrer en soi. La France a cherché, a fouillé, elle est descendue au plus profond de sa vie populaire ; elle a trouvé quoi ? la France. Elle doit à son ennemi de s’être connue comme nation.

Il ne fallait pas moins pour nous calmer qu’une pensée si grave, que cette forte et virile consolation, lorsque, souvent ramenés vers la mer, nous portions sur la plage, de La Hogue à Dunkerque, tout ce pesant passé… Eh bien ! déposons-le aux marches de la nouvelle Église, sur cette pierre d’oubli qu’une bonne et pieuse Anglaise a placée à Boulogne[1], pour relever ce qu’ont détruit ses pères. « Qui de là ne dira volontiers à cette mer, aux dunes opposées : « My curse shall be forgiveness[2] ! »

On voit mieux de ce point… On y voit l’Océan rouler sa vague impartiale de l’une à l’autre rive. On y distingue le mouvement alternatif de ces grandes eaux et de ces grands peuples. Le flot qui porta là-bas César et le christianisme rapporte Pélage et Colomban. Le flux pousse Guillaume, Éléonore et les Plantagenets ; le reflux ramène Édouard, Henri V. L’Angleterre imite au temps de la reine Anne ; sous Louis XVI, c’est la France. Hier, la grande rivale nous enseigna la liberté ; demain, la France reconnaissante lui apprendra l’égalité… Tel est ce majestueux balancement, cette féconde alluvion qui alterne d’un borda l’autre… Non, cette mer n’est pas la mer stérile[3].

  1. App. 124.
  2. « Ma malédiction sera… le pardon. » (Byron.)
  3. Homère.