Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267
TROUBLES DE L’ANGLETERRE

troubles de l’Angleterre, avait dégarni la province de troupes. Ce ne fut qu’au printemps qu’une armée vint disputer le terrain à Talbot. Les Français, suivant la direction de Bureau, voulurent d’abord se rendre maîtres de la Dordogne et assiégèrent Ghâtillon, à huit lieues de Bordeaux. Talbot les y trouva bien retranchés, et dans ces retranchements une formidable artillerie. Il n’en tint pas grand compte, et les Français le confirmèrent à dessein dans ce mépris. Le matin, pendant qu’il entendait sa messe, on vient lui dire que les Français s’enfuient de leurs retranchements. « Que jamais je n’entende la messe, dit le fougueux vieillard, si je ne jette ces gens-là par terre[1] ! » Il laisse tout, messe et chapelain, pour courir à l’ennemi ; un des siens l’avertit de l’erreur, il le frappe et va son chemin.

Cependant, derrière les retranchements, derrière les canons, le sage maître des comptes, Jean Bureau, attendait froidement ce paladin du moyen âge[2]. Talbot arrive sur son petit cheval, signalé entre tous par un surtout de velours rouge. À la première décharge, il voit tout tomber autour de lui ; il persiste, il fait planter son étendard sur la barrière. La seconde décharge emporte l’étendard et Talbot. Les Français sortent ; on se bat sur le corps, il est pris et repris[3] ; dans la confusion,

  1. « Jamais je n’oiray la messe, ou aujourdhuy jauray rué jus la compagnie des François, estant en ce parc icy devant moy. » (Mathieu de Couci.)
  2. Non pas toutefois tellement paladin qu’il n’ait soigné, en véritable Anglais, ses intérêts d’argent et de fortune. App. 118.
  3. Il fut défiguré, ce qui donna lieu à une scène touchante que l’historien français raconte dans tous ses détails avec une noble compassion : « Auquel herault de Tallebot il fut demandé : s’il voyoit son maistre, s’il le reconnois-