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TABLEAU DE LA FRANCE

Plus souvent des orages, des ruisseaux qui deviennent des fleuves. Le laboureur ramasse son champ au bas de la colline, ou le suit voguant à grande eau, et s’ajoutant à la terre du voisin. Nature capricieuse, passionnée, colère et charmante.

Le Rhône est le symbole de la contrée, son fétiche, comme le Nil est celui de l’Égypte. Le peuple n’a pu se persuader que ce fleuve ne fût qu’un fleuve ; il a bien vu que la violence du Rhône était de la colère[1], et reconnu les convulsions d’un monstre dans ses gouffres tourbillonnants. Le monstre, c’est le drac, la tarasque, espèce de tortue-dragon, dont on promène la figure à grand bruit dans certaines fêtes[2]. Elle va jusqu’à l’église, heurtant tout sur son passage. La fête n’est pas belle s’il n’y a pas au moins un bras cassé.

Ce Rhône, emporté comme un taureau qui a vu du rouge, vient donner contre son delta de la Camargue, l’île des taureaux et des beaux pâturages. La fête de l’île, c’est la Ferrade. Un cercle de chariots est chargé de spectateurs. On y pousse à coups de fourche les taureaux qu’on veut marquer. Un homme adroit et vigoureux renverse le jeune animal, et, pendant qu’on le tient à terre, on offre le fer rouge à une dame invitée ; elle descend et l’applique elle-même sur la bête écumante.

Voilà le génie de la basse Provence, violent, bruyant, barbare, mais non sans grâce. Il faut voir ces danseurs

  1. App. 23.
  2. Le jour de Sainte-Marthe, une jeune fille mène le monstre enchaîné à l’église pour qu’il meure sous l’eau bénite qu’on lui jette.