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HISTOIRE DE FRANCE

gieuse classification lui appartient. C’était alors un glorieux temps pour les Archives. Pendant que M. Daru ouvrait, pour la première fois, les mystérieux dépôts de Venise, M. Daunou recevait les dépouilles du Vatican. D’autre part du Nord et du Midi, arrivaient à l’hôtel Soubise les archives d’Allemagne, d’Espagne et de Belgique ; deux de nos collègues étaient allés chercher celles de Hollande.

Aujourd’hui les Archives de la France ne sont plus celles de l’Europe. On distingue encore sur les portes de nos salles la trace des inscriptions qui nous rappellent nos pertes : Bulles, Daterie, etc. Toutefois, il nous reste encore environ cent cinquante mille cartons. Quoique les provinces refusent de laisser réunir leurs archives, quoique même plusieurs ministères continuent de garder les leurs, l’encombrement finira par les décider à se dessaisir. Nous vaincrons, car nous sommes la mort, nous en avons l’attraction puissante ; toute révolution se fait à notre profit. Il nous suffit d’attendre : « Patiens, quia æternus. »

Nous recevons tôt ou tard les vaincus et les vainqueurs. Nous avons la monarchie bel et bien enclose de l’alpha à l’oméga ; la charte de Childebert à côté du testament de Louis XVI ; nous avons la République dans notre armoire de fer, clefs de la Bastille[1], minute des Droits de l’homme, urne des députés, et la grande machine républicaine, le coin des assignats. Il n’y a pas jusqu’au pontificat qui ne nous ait laissé quelque chose ; le pape nous a repris ses archives, mais nous avons gardé par représailles les brancards sur lesquels il fut porté au sacre de l’empereur. A côté de ces jouets sanglants de la Providence, est placé l’immuable étalon des mesures que chaque année l’on vient consulter. La température est invariable aux Archives.

Pour moi, lorsque j’entrai la première fois dans ces catacombes manuscrites, dans cette admirable nécropole des monuments nationaux, j’aurais dit volontiers, comme cet Allemand entrant au monastère de Saint-Vannes : « Voici l’habitation que j’ai choisie et mon repos aux siècles des siècles ! »

Toutefois je ne tardai pas à m’apercevoir, dans le silence apparent de ces galeries, qu’il y avait un mouvement, un murmure qui n’était pas de la mort. Ces papiers, ces parchemins

  1. Ces divers objets ont été déposés aux Archives en vertu des décrets de nos Assemblées républicaines.