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ÉCLAIRCISSEMENTS

et la langue du peuple. La solennité des prières était rompue, dramatisée de chants pathétiques, comme ce dialogue des Vierges folles et des Vierges sages qui nous a été conservé. Le peuple élevait la voix, non pas le peuple fictif qui parle dans le chœur, mais le vrai peuple venu du dehors, lorsqu’il entrait, innombrable, tumultueux, par tous les vomitoires de la cathédrale, avec sa grande voix confuse, géant enfant, comme le saint Christophe de la légende, brut, ignorant, passionné, mais docile, implorant l’initiation, demandant à porter le Christ sur ses épaules colossales. Il entrait, amenant dans l’église le hideux dragon du péché ; il le traînait, soûlé de victuailles, aux pieds du Sauveur, sous le coup de la prière qui doit l’immoler[1]. Quelquefois aussi, reconnaissant que la bestialité était en lui-même, il exposait dans des extravagances symboliques sa misère, son infirmité. C’est ce qu’on appelait la fête des Fous, fatuorum[2]. Cette imitation de l’orgie païenne, tolérée par le christianisme, comme l’adieu de l’homme à la sensualité qu’il abjurait, se reproduisait aux fêtes de l’enfance du Christ, à la Circoncision, aux Rois, aux Saints-Innocents, et aussi aux jours où l’humanité, sauvée du démon, tombait dans l’ivresse de la joie, à Noël et à Pâques. Le clergé lui-même y prenait part. Ici les chanoines jouaient à la balle dans l’église, là on traînait outrageusement l’odieux hareng du carême[3]. La bête comme l’homme était réhabilitée. L’humble témoin de la naissance du Sauveur, le fidèle animal qui de son haleine le réchauffa tout petit dans la crèche, qui le porta avec sa mère en Égypte, qui l’amena triomphant dans Jérusalem, il avait sa part de la joie[4]. Sobriété,

  1. Voy. App. 33.
  2. Le légat, Pierre de Capoue, défendit en 1198 la célébration de cette fête dans le diocèse de Paris. Mais elle ne cessa guère en France que vers 1444. On la trouve en Angleterre en 1530. — En 1671, les enfants de chœur de la Sainte-Chapelle prétendaient encore commander le jour des Saints-Innocents, et occupaient les premières stalles, avec la chape et le bâton cantoral. — A Bayeux, le jour des Innocents, les enfants de chœur, ayant à leur tête un petit évêque qui faisait l’office, occupaient les stalles hautes et les chanoines les basses.
  3. Voy. App. 36.
  4. A Beauvais, à Autun, etc., on célébrait la fête de l’Ane. — Ducange : « In fine missæ sacerdos versus ad populum vice : Ite, missa est, ter hinhannabit ; populos vero vice : Deo gratias, ter respondebit : Hinham, hinham, hinham. » App. 142.