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LOUIS-LE-JEUNE ET HENRI II (PLANTAGENET)

son hommage et se déclara vassal du nouveau roi de France, Philippe-Auguste. Celui-ci affectait, en haine du roi d’Angleterre, une intimité fraternelle avec son fils révolté. Ils mangeaient au même plat et couchaient dans le même lit. La prédication de la croisade suspendit à peine les hostilités entre le père et le fils. Le vieux roi se trouva attaqué de toutes parts à la fois, au nord de l’Anjou par le roi de France, à l’ouest par les Bretons, au sud par les Poitevins. Malgré l’intercession de l’Église, il fut obligé d’accepter la paix que lui dictèrent Philippe et Richard ; il fallut qu’il s’avouât expressément vassal du roi de France, et se remît à sa miséricorde. Il aurait consenti à déclarer Jean son héritier pour toutes ses provinces du continent ; c’était le plus jeune de ses fils, et, à ce qui semblait, le plus dévoué. Quand les envoyés du roi de France vinrent le trouver, malade et alité qu’il était, il demanda les noms des partisans de Richard dont l’amnistie était une condition du traité. Le premier qu’on lui nomma fut Jean, son fils. « En entendant prononcer ce nom,

    il m’a failli le jour où le vaillant jeune roi, votre fils, est mort ; ce jour-là j’ai perdu le sens, l’esprit et la connaissance. » — Au nom de son fils, qu’il ne s’attendait nullement à entendre prononcer, le roi d’Angleterre fondit en larmes et s’évanouit. Quand il revint à lui, il était tout changé ; ses projets de vengeance avaient disparu, et il ne voyait plus dans l’homme qui était en son pouvoir que l’ancien ami du fils qu’il regrettait. Au lieu de reproches amers, et de l’arrêt de mort ou de dépossession auquel Bertrand eût pu s’attendre : « Sire Bertrand, sire Bertrand, lui dit-il, c’est à raison et de bon droit que vous avez perdu le sens pour mon fils ; car il vous voulait du bien plus qu’à homme qui fût au monde ; et moi, pour l’amour de lui, je vous donne la vie, votre avoir et votre château. Je vous rends mon amitié et mes bonnes grâces, et vous octroie cinq cents marcs d’argent pour les dommages que vous avez reçus. » (Thierry.)