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HISTOIRE DE FRANCE

elle n’aime pas la France ; elle brise nos vaisseaux ; elle ensable nos ports[1].

Rien de sinistre et formidable comme cette côte de Brest ; c’est la limite extrême, la pointe, la proue de l’ancien monde. Là, les deux ennemis sont en face : la terre et la mer, l’homme et la nature. Il faut voir quand elle s’émeut, la furieuse, quelles monstrueuses vagues elle entasse à la pointe de Saint-Mathieu, à cinquante, à soixante, à quatre-vingts pieds ; l’écume vole jusqu’à l’église où les mères et les sœurs sont en prière[2]. Et même dans les moments de trêve, quand l’Océan se tait, qui a parcouru cette côte funèbre sans dire ou sentir en soi : Tristis usque ad mortem ?

C’est qu’en effet il y a là pis que les écueils, pis que la tempête. La nature est atroce, l’homme est atroce, et ils semblent s’entendre. Dès que la mer leur jette un pauvre vaisseau, ils courent à la côte, hommes, femmes et enfants ; ils tombent sur cette curée. N’espérez pas arrêter ces loups, ils pilleraient tranquillement sous le feu de la gendarmerie[3]. Encore s’ils attendaient toujours le naufrage, mais on assure qu’ils l’ont souvent préparé. Souvent, dit-on, une vache, promenant à ses cornes un fanal mouvant, a mené les

  1. Dieppe, le Havre, La Rochelle, Cette, etc.
  2. Goélans, goélans,
    Ramenez-nous nos maris, nos amans !
  3. Attesté par les gendarmes mêmes. Du reste, ils semblent envisager le bris comme une sorte de droit d’alluvion. Ce terrible droit de bris était, comme on sait, l’un des privilèges féodaux les plus lucratifs. Le vicomte de Léon disait, en parlant d’un écueil : « J’ai là une pierre plus précieuse que celles qui ornent la couronne des rois. »