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Moi-même, entrant un jour en Suisse par une de nos plus tristes frontières, par nos sapinières du Jura, je fus émerveillé de voir dans les prairies les filles d’horlogers, belles et sérieuses filles, fort cultivées et quasi demoiselles, en corsets de velours, travailler à la fenaison. Rien n’était plus charmant. Dans l’aimable alliance de l’art et de l’agriculture, la terre semblait fleurir sous leurs mains délicates, et manifestement la fleur avait orgueil d’être touchée par un esprit.

Mais ce qui me frappa bien plus, ce qui me fit croire un moment que j’assistais déjà au prochain siècle, ce fut une rencontre que je fis au lac de Lucerne d’une riche famille de paysans d’Alsace. Elle n’était nullement indigne de ce cadre sublime où j’eus le bonheur de la voir. Le père, la mère, la jolie demoiselle, portaient avec une noble simplicité l’antique et si beau costume de leur pays. Les parents, vrais Alsaciens, de grand cœur et de bon esprit, têtes sages, carrées et fortes. Elle, bien plus Française, affinée de Lorraine, comme passée du fer à l’acier. Fort jeune, elle était svelte, vive et saisissant tout ; avec sa mince taille, ses jeunes bras, étonnamment forte. Mais ses bras étaient bruns. Son père dit : « C’est qu’elle veut cultiver elle-même ; elle vit aux champs, y laboure, et y lit… Oh ! ses bœufs la connaissent bien et