Page:Michelet - La femme.djvu/436

Cette page a été validée par deux contributeurs.

morts ; cela seul la ferait mourir. Les parents n’entrent que deux fois par semaine, s’il y a des parents. Les sœurs sont occupées de soins matériels, un peu blasées d’ailleurs par la vue de tant de douleurs. L’interne est un jeune homme. Ce serait lui pourtant, et justement parce qu’il est jeune et non blasé encore, s’il était bon, ce serait lui qui pourrait le plus moralement. Et quel fruit immense d’instruction il en tirerait ! quel agrandissement du cœur !

Le docteur L., alors jeune et interne dans un hôpital de Paris, vit venir dans sa salle une fille de vingt ans au dernier degré de la pulmonie. Nulle amie, nulle parente. Dans son absolue solitude, au milieu de cette triste foule, dans la mélancolie d’une fin prochaine, elle vit bien, sans qu’il lui parlât, elle vit dans ses yeux un éclair de compassion. Dès lors elle le regardait toujours, allant, venant par la salle, et elle ne se croyait pas tout à fait seule. Elle s’éteignait doucement dans cette pure et dernière sympathie. Un jour il passe, elle fait signe. Il dit : « Que voulez-vous ? — Votre main. » Elle meurt. — Ce serrement de main n’a pas été stérile ; ce fut le passage d’une âme. Une âme en profita. Même avant de savoir ceci, en regardant cet homme charmant autant qu’habile, j’avais senti qu’il est de ceux que la femme a