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chercher au loin des placements. Les voyages ne semblaient guère faits pour une jeune femme, dans un pays peuplé ainsi, et où les habitations, souvent à grandes distances, excluent toute surveillance, toute protection publique. Elle osa. Sur un bon cheval, qu’elle appelait le Capitaine (en souvenir de son mari absent), elle alla à la découverte, par les routes, ou bien sans route, souvent franchissant les torrents. Le plus hardi, c’est qu’elle menait des filles avec elles, et parfois jusqu’à soixante, pour les placer comme servantes dans les familles, ou les marier. Elle fut reçue partout, de ces hommes trop mal jugés, comme la Providence elle-même, avec égard, avec respect. Mais elle ne couchait qu’en lieu sûr, et toujours avec ses filles, aimant mieux passer la nuit dans des chariots mal couverts, plutôt que de s’en séparer.

On commença à entrevoir la grandeur, la beauté de l’entreprise. Jusque-là on ne faisait rien, et tout était viager, on renouvelait incessamment ces colonies stériles qui allaient toujours s’éteignant. Bien plus, on ne changeait rien aux âmes, aux mœurs, aux habitudes. Le vice restait le vice ; la prostitution, plus qu’à Londres, honteuse et stérile. La révolution opérée par cette femme admirable put se qualifier ainsi : Mort à la mort, à la stérilité, à l’immonde célibat (bachelorism).