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« Qu’elle verse ce lait d’un grand cœur, d’une superbe volonté ! Un trait naïf témoigne bien la précipitation charmante avec laquelle elle a pris à elle l’enfant affamé. Ce n’est pas là une nourrice. Elle se l’est appliqué, tout comme il s’est présenté. Elle le tient soulevé de la main gauche qu’elle lui a passée dessous, avec une force délicate, sans songer à la convenance. Mais qui donc oserait rire ?… On ne rit pas davantage de la négligence hardie avec laquelle la jeune sainte, tout entière à la passion, a mis son bonnet de travers.

« L’autre enfant qu’elle tient de la droite près de la mamelle vêtue et qui attend impatiemment que l’autre ait fait de la place, est plus grand, plus fort, plus décent ; j’allais dire, plus corrompu ; il a une ceinture aux reins et ne montre pas son sexe ; il a l’air craintif et flatteur déjà d’un petit mendiant ; sa bouche aiguë, frémissante, semble faire entendre une stridente et âpre prière, qui lui fait serrer les dents. Il tient à la main, je crois, quelques grains de mauvais raisin, d’aigre verjus ; il a hâte d’oublier dans les douceurs du bon lait sucré de la femme l’agaçante nourriture. Il n’en est pas loin ; le premier qui tette en a tant pris, que son corps est enflé comme une sangsue.

« Près d’elle, à terre, un réchaud, un feu rouge de charbon, de braise, — mais si froid en compa-