Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Si la vie des mers a un rêve, un vœu, un désir confus, c’est celui de la fixité. Le moyen violent, tyrannique, du requin, ces prises d’acier, ce grappin sur la femelle, la fureur de leur union, donnent l’idée d’un amour de désespérés. Qui sait en effet si dans d’autres espèces, douces et propres à la famille, qui sait si cette impuissance d’union, cette fluctuation sans fin d’un voyage éternel sans but, n’est pas une cause de tristesse ? Ils deviennent, ces enfants des mers, tout amoureux de la terre. Beaucoup remontent dans les fleuves, acceptent la fadeur de l’eau douce, si pauvre et si peu nourrissante, pour lui confier, loin des tempêtes, l’espoir de leur postérité. Tout au moins ils se rapprochent des rivages de la mer, cherchent quelque anse sinueuse. Ils deviennent même industrieux, et, de sable, de limon, d’herbe, essayent de faire de petits nids. Effort touchant. Ils n’ont nullement les instruments de l’insecte, merveille d’industrie animale. Ils sont dépourvus bien plus que l’oiseau. C’est à force de persévérance, sans mains, ni pattes, ni bec, uniquement de leur pauvre corps, qu’ils rassemblent un paquet d’herbes, le percent, y passent et repassent, jusqu’à obtenir une certaine cohésion (voir Coste sur les épinoches). Mais que de choses les entravent ! La femelle, aveugle et gourmande, trouble le travail, menace les œufs. Le mâle