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Maintenant, il me faut entrer dans un monde bien autrement sombre : la guerre, le meurtre. Je suis obligé d’avouer que, dès le commencement, dès l’apparition de la vie, apparut la mort violente, épuration rapide, utile purification, mais cruelle, de tout ce qui se languissait, traînait ou aurait langui, de la création lente et faible dont la fécondité eût encombré le globe.

Dans les terrains les plus anciens, on trouve deux bêtes meurtrières, le Mangeur et le Suceur. Le premier nous est révélé par l’empreinte du Trilobite, espèce aujourd’hui perdue, destructeur éteint des êtres éteints. Le second subsiste en un reste effrayant, un bec presque de deux pieds qui fut celui du grand suceur, seiche ou poulpe (Dujardin). D’après un tel bec, ce monstre, s’il lui était proportionné, aurait eu un corps énorme, des bras-suçoirs épouvantables de vingt ou trente pieds peut-être, comme une prodigieuse araignée.

Chose tragique ! ces êtres de mort sont les premiers que l’on trouve au fond de la terre. Est-ce donc à dire que la mort ait pu précéder la vie ? Non, mais les animaux mous qui alimentèrent ceux-ci ont fondu, n’ont pas laissé trace ni même empreinte d’eux-mêmes.

Les mangeurs et les mangés étaient-ils deux na-