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peu. Elle apprend à dominer l’inquiétude individuelle, à concentrer la substance au profit des vies supérieures.

Elle sommeille là quelque temps, comme la Belle au bois dormant. Mais, sommeil ou captivité, ensorcellement, quoi que ce soit, cet état n’est pas la mort. Elle vit, cette âpre matière de l’éponge, feutrée de silex. Sans se mouvoir, sans respirer, sans organes de circulation, sans aucun appareil des sens, elle vit. Comment le sait-on ?

Elle enfante deux fois par an. Elle a l’amour à sa manière, et même plus richement que bien d’autres. Au jour venu, de petites sphères échappent de la mère éponge, armées de faibles nageoires qui leur donnent quelques moments de mouvement et de liberté. Bientôt fixées, elles se montrent des spongilles délicates qui vont à leur tour grandir.

Ainsi, dans l’absence apparente des sens et de tout organisme, dans cette mystérieuse énigme, au seuil douteux de la vie, la génération la révèle et fait l’ouverture du monde visible par lequel nous allons monter. Rien n’est encore, et dans ce rien apparaît déjà la maternité. Comme chez les dieux d’Égypte, Isis, Osiris, qui engendrent avant leur naissance, l’Amour ici naît avant l’être.