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COMME JADIS…

vint à la santé ce fut pour prendre en haine tous les lieux qui lui rappelaient la chère morte. Deux années durant nous voyageâmes sans repos. J’amassais d’inoubliables impressions d’art. Enfin la lassitude des palaces prit mon père. Un soir, c’était Malte ; il me pria de faire les préparatifs pour un prochain départ : nous rentrerions à Noulaine.

J’étais ivre, étourdi de soleil, de couleurs violentes ; la campagne de chez nous avec ses lignes calmes, ses ciels perlés, fut un bain délicieux pour mes yeux. Le vieux château à visage d’ancêtre, majestueux et accueillant, nous attendait de toute la fidélité de ses vieilles pierres. Partout je retrouvais mes souvenirs d’enfance et d’adolescence. J’errais dans les longues salles que le caprice de ma belle-mère avait peu à peu démeublées au profit de son hôtel de Paris ; ces murs sonores répétaient maintenant le bruit de mes pas d’homme. Nous vécûmes des jours de calme, d’un charme bienfaisant. Mes longues rêveries ne cherchaient pas à s’exprimer par le pinceau. J’attendais, indécis et troublé, une heure pressentie avec le candide émoi d’une âme de jeune fille qui s’oriente vers l’amour. Au hasard de nos déplacements, j’avais passé sans les voir, près de belles jeunes femmes, près de séduisantes jeunes filles. Je me réservais jalousement, pour la tendresse unique, impérissable. Pauvre fou !…

Juillet vint, plein de gloire, avec ses promesses