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COMME JADIS…

Présente ou absente, elle devint bientôt le centre de notre vie, tant sa personnalité était accentuée. Nous ne savions résister à ses volontés qui étaient impérieuses, tenaces, et que la flamme de ses yeux dramatisait. Je lui fus soumis. Pour elle, je surmontais mon excessive frayeur, la peur nerveuse qui me figeait au seuil des grandes salles désertes ; je la précédais dans les escaliers étroits, aux murs suintants ; je passais sous les portes basses percées dans les recoins pleins d’ombre. Des voiles velus me frôlaient le visage, je tressaillais, mes paumes devenaient moites et toujours je domptais ma folle envie de fuir.

Les vacances prirent fin, Jacqueline et son père rentrèrent à Étampes. Quand l’été suivant les ramena à la Grangère, déjà ma cousine et moi étions installés à Noulaine. L’enfant aux cheveux roux et aux yeux ardents reprit sa place dans notre vie. Il en fut ainsi pendant deux ans encore… Ma cousine mourut. Dès lors, je passai les vacances avec mes parents, tantôt sur une plage, tantôt aux montagnes. Ma belle-mère était atteinte d’une maladie qui n’allait pas tarder à l’emporter ; mon père, sans cesse occupé à prévenir le moindre caprice de sa malade, s’apercevait à peine de ma présence.

Cependant, je n’avais pas perdu complètement le souvenir de Jacqueline. Je savais que M. Maurane professait maintenant dans une grande ville du Midi et que les vacances du père et de la fille