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COMME JADIS…

m’a ouvert le trésor de votre compassion, me paraîtrait un insigne manque de confiance. Je serai bref. Vous lirez en moi, à travers ma pensée inexprimée, n’est-ce pas, Minnie ?

Je n’ai pas connu la douceur des soins d’une maman. J’avais deux ans lorsque la mienne mourut. Mon père se remaria promptement. Ma belle-mère était une femme très jeune, très gaie, d’une grande vivacité de sentiments. Sans doute nous serions-nous attachés l’un à l’autre si nous avions pu nous connaître davantage. Elle détestait la campagne et avait en particulière horreur Noulaine avec ses murs épais, ses portes basses, ses longues salles que le soleil ne parvient pas à éclairer entièrement. J’étais maladif. Les médecins déclarèrent l’air natal indispensable pour consolider ma santé. Mes parents habitaient Paris en hiver, passaient la belle saison sur une plage à la mode ; je demeurais au château sous la surveillance d’une tante de mon père.

Cette tante, très bonne mais très romanesque, entichée de notre nom, m’éleva comme une précieuse idole. Je n’avais pas de camarade de jeux. La compagnie des enfants du fermier, parce que trop grossière, m’était interdite. Je ne jouais pas. Cloué derrière les fenêtres, j’avais fini par ne plus envier les petits Morin que je voyais courir, grimper aux arbres de la cour qui sépare le château de la ferme. Je quittais rarement le sillage de Tante. J’aimais