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COMME JADIS…

précédentes. Par un phénomène d’optique fréquent ici, les plans éloignés apparaissent les plus distincts. Je pourrais compter les troncs argentés des trembles alignés sur le bord opposé du creek… Croyez-moi, j’ai vu l’eau vive attaquée par l’air aigu. Je l’ai vue atténuer ses vibrations, rétrécir son cours entre les deux rives onduleuses, enfin s’immobiliser, se figer en une attitude de bête blanche, allongée aux pieds des arbres gris. Un coyotte lança vers la lune son jappement rauque ; dans le coral, un cheval hennit, prit un temps de galop, vint poser sa tête sur la perche de la clôture.

Mon cousin, comme nous sommes éloignés l’un de l’autre !…


Encore une malle qui part sans emporter ma lettre !

J’attendais presque, quelque chose de vous aujourd’hui, au courrier. Rien. Déception, avouons-le. J’avais eu cependant le plus joli réveil. Une lumière légère qui montait du sol, des toits des étables, envahissait ma chambre et me réjouissant comme d’une nouvelle vue épanouie : la neige était tombée durant la nuit. Une neige molle à gros flocons humides qui ne tiendra pas. Pour quelques heures, pourtant, nous aurons la vision d’un monde blanc surmonté d’un ciel bleu cru qui offenserait votre palette, mon cousin.