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COMME JADIS…

partir la malle hier ; durant huit jours, j’aurai le reproche de ces feuillets, attendant leur départ pour la France.

Je veux avoir la franchise de vous l’avouer : il suffit d’une allusion à votre Roman d’antan, trouvée au cours d’une lecture, pour rallumer la lutte de ma rancune contre ma sympathie.

Hier, notre meilleure revue canadienne m’est arrivée, avec, en bonne place, un panégyrique de votre livre écrit par l’une de nos plus fines plumes de la critique. Nous sommes stupides ! Nous perdons la tête, nous délirons d’allégresse parce que vous semblez avoir découvert le Canada, et pas un de nos hommes de lettres ne songe à souligner l’indélicatesse du procédé !… Enfin, enfin, vous avez pris des lettres dans un tiroir, des lettres que vous n’aviez pas écrites, qui ne vous étaient pas adressées et vous les avez publiées !…

Vous le voyez, je ne peux pas vous envoyer la lettre que vous réclamez, qui vous ferait du bien. À certains moments, je dois vous dire des choses banales, sinon, je suis certaine que je vous ferais du mal et je ne puis oublier, malgré tout, que vous êtes seul, malade, vieux et désespéré.

Les légendes indiennes de Nanine ont trop de trous dans ma mémoire pour vous les conter et ma vie est vide d’événements. Vous n’imaginez pas que je chasse le bœuf musqué ou que je fume le calumet de la paix au wigwan voisin ? Qui sait ?