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COMME JADIS…

tentures, les sièges, ses belles pelleteries, tout en m’appelant sa sauvagesse civilisée.

En automne, alors que la neige n’avait pas encore permis d’établir les routes qui nous faisaient communiquer plus facilement avec Edmonton, point de ravitaillement de nos magasins, il nous arrivait de manquer des denrées nécessaires à un ménage. Les voitures trop lourdement chargées de farine, sucre, etc., ne pouvaient monter ; « l’homme de la malle », le postillon passait presque toujours dans son sulky léger et cela nous paraissait tout naturel de remplacer le pain par des pommes de terre, des patates, alors qu’à la veillée nous pouvions lire le dernier numéro du Correspondant en dégustant notre thé sans sucre. Nous étions d’invétérés liseurs.

Ces veillées me paraissent à la fois proches et lointaines, d’un hier sans lendemain possible… Le long corps de fonte de la fournaise tenait le milieu de la pièce ; mais quand il ne faisait pas encore trop froid, nous allumions dans la haute cheminée un bon feu de souches de saules. Le cercle lumineux de notre lampe ronronnante nous enveloppait tous deux, et aux alentours de notre chère maison, il y avait des milles de solitude. Les moindres bruits du voisinage nous étant connus, nous pouvions les situer : nous ne les écoutions plus, inquiets… C’est par un de ces soirs-là que nous lûmes ensemble les lettres d’Herminie de Laver-