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COMME JADIS…

source si le feu menaçait de sauter les traits de charrue augmentés à la hâte.

… À vrai dire, je n’assistais pas sans douleur à la transformation de ce que je considérais comme mon domaine inviolable, et plus d’une fois, pour échapper à la vue des arbres qui tombaient sous la hache de mon père et de l’engagé, je me réfugiai dans l’épinettière où tant de ma vie de fillette flottait sous les branches rudes. Même là, je ne me sentais pas en sécurité. Je savais que les mousses d’or ouatant le sol ne défendait pas le bois contre la destruction. La terre n’était pas bonne pour la culture, on ne la défricherait pas pour l’ensemencer. Notre épinettière, longeant le lac pendant un demi mille, était unique dans la contrée et à cause de cela d’une valeur inestimable pour la construction du nouveau settlement. Une notice, collée par les soins de mon père sur la porte de l’église, avertissait les nouveaux colons désirant faire du bois pour bâtisses, clôtures, perches, qu’on pouvait couper « sur Jean Lavernes ». Combien de ces convois avais-je vu passer devant la maison, s’en allant par les chemins des traîneaux !

Ce fut plus tard, en présence de notre première moisson, que le miracle du grain qui germe, grandit, fructifie, m’apparut plus grand, plus noble que la beauté inutile de la terre vierge. Dès lors, je m’épris de défrichement, je me mis à seconder mon père de tout mon enthousiasme et de tout l’effort physique dont j’étais capable.