Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
COMME JADIS…

Hier, ma vieille amie est venue me trouver dans ma chambre. Son visage, d’ordinaire un peu sévère, était détendu par l’expression douce des yeux très noirs sous l’abondante chevelure blanche. Elle m’a lu le mot d’André, écrit en hâte à l’arrivée à Montréal. Elle m’a parlé de lui comme jamais auparavant. J’ai pu vivre des semaines près d’eux sans avoir découvert les liens qui unissent cette mère et ce fils.

Je ne savais pas qu’André aimait une jeune montréalaise, et que, dédaigné par elle, il cherchait dans le travail opiniâtre l’oubli de cet amour. Sans doute Mme Lamarche compte-t-elle sur le labeur acharné qu’il lui faudra fournir à l’ambulance, pour éteindre un souvenir trop vif.

Insensiblement, elle en est venue à parler de moi, de l’épreuve qu’est la guerre tout à coup survenue, bouleversant le grand bonheur qui s’en venait à moi… Je crois que maman aurait été semblable à elle, ce soir-là.

Puis sa voix s’est raffermie pour me dire :

— Minnie, je te garderai près de moi aussi longtemps que tu voudras y rester. Pourtant, si tu crois devoir « remonter sur la ferme », agis selon tes vues.

— Dès que j’aurai reçu une lettre de Gérard, je partirai. Le blé est coupé, une partie de l’avoine aussi, je ne peux laisser les Mourier seuls plus longtemps.