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COMME JADIS…

je me taisais, je pécherais contre notre amitié… Je désire tant votre bonheur… Je me remémore la scène de la bibliothèque… Je vous vois dressés l’un en face de l’autre, épuisant en un conflit de vos volontés et de vos orgueils tout le bonheur futur possible…

Dix minutes, une heure peut-être, j’ai médité sur la phrase ci-dessus. Ai-je le droit de jeter le doute dans votre âme qui se reprend ? Que sais-je, moi, de ces sirènes entrevues à peine au cours de la lecture rapide de quelques romans ? Pourquoi viendrais-je vous dire : « Retournez-vous, elle revient sur ses pas, celle que vous avez vue partir dure et orgueilleuse… » Pourquoi ? Pourquoi ?… Parce que votre main a tremblé en écrivant certains mots. Parce que j’ai peur que, le bonheur repassant à portée de votre voie, je ne sache pas dire à temps : « Mon ami, regardez… » Vous l’aimiez tant, l’enfant rousse et ardente de votre enfance ! Êtes-vous de retour à Noulaine ? Avez-vous cherché la trace de son pied d’enfant sur le sable des allées, le nimbe fugitif que ses cheveux roux plaquait sur les boiseries sombres ?…

Je vous vois à la poursuite des souvenirs ; je les vois, ces souvenirs, se lever, revivre, rattacher le présent au passé, rapprocher le visage laiteux de l’adolescente à la face pâlie au bord de la toque de chinchilla, reconstituer les gestes familiers des mains palpitantes comme des ailes… Je les vois,