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COMME JADIS…

C’est aujourd’hui dimanche. Par les chemins tout blancs, pailletés de cristaux que les glissières de notre traîneau écrasent avec un bruit musical, nous sommes allés à l’église. Il faisait clair et doux, une de nos belles journées albertaines. La lumière intense vibrait sur ces blancs éclatants et n’allait pas tarder à les mettre en déroute. Déjà, en arrivant près du village, les arbres étaient gris.

La rue large et sans trottoir était vide de gens. La messe était commencée. Au long des clôtures, qui relient les maisons du village les uns aux autres, les attelages s’alignaient… Bobsleigs surmontés de la boite de Waggon, traîneaux bas, en bois blanc, œuvre de colon ingénieux et indigent, « cutters » aux hautes glissières, fins de lignes, capitonnés de velours vert ou rouge. Les chevaux, broncos, cayuses et gros team encapuchonnés de « couvertes », rongeaient la perche d’épinette avec un bruit de mors et de dents qui s’accrochent. Un bœuf blanc et noir et un grand cheval rouge, attelés à la même « togne » de bouleau dont l’écorce s’effritait, partageaient fraternellement l’abri d’une couverte à carreaux multicolores. Des touffes de foin sortaient des traîneaux ; des poulains de l’année dernière, libres, mordillaient ce fourrage en agaçant les chevaux attelés.

Ignorance de la valeur des temps : le passé composé s’emploie nécessairement pour les faits du même jour.