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COMME JADIS…

tractés de l’effort qu’il avait fallu soutenir pour résister au froid intense. Tout à coup, la bourrasque descendit du Nord avec une violence inouïe, dont j’ai rarement été le témoin. C’était la terrible poudrerie. À peine tombée, la neige se convulsait, entrait en colère. Un tourbillon l’arrachait du sol, la jetait aux branches des épinettes qui nous abritent du côté du Nord. Elle se ruait à l’assaut de la maison et les murs solides tremblaient comme pris d’épouvante. Un silence tragique s’étendait parfois, et ces répits étaient plus angoissants que la fureur de la tempête. Toujours la même pensée serre les tempes : où sont les voyageurs, ceux qui ont été surpris en prairie ? Le bois est hospitalier comparativement, mais la plaine ?… Quand le vent souffle en piquantes épines, la neige frémit de son grand corps pâle et gare alors à tout ce qui est vie ! La vague insensée balaie, en hurlant, la prairie, s’écrase contre les obstacles, les enserre, les étouffe, rejaillit en écume étincelante ; puis, elle s’apaise, murmure, caresse, ensorcelle le voyageur affolé pour reprendre, la minute suivante, son ardeur passionnée. Les lames succèdent aux lames, effaçant les pistes ; tout se confond, tout s’abîme, tout craque dans la clameur d’épouvante du brouillard blanc.

Ce soir-là, je songeais invinciblement, à ceux qui luttaient à des milles et des milles d’ici — ou peut-être tout près, au cœur de la solitude glacée, à ceux