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devait s’y ramener à l’urne du sort ou à la balance, la Providence empêcha que le hasard ou la fatalité n’y régnât, en ordonnant que le cens y serait la règle des honneurs, et qu’ainsi les hommes industrieux, économes et prévoyants plutôt que les prodigues ou les indolents, que les hommes généreux et magnanimes plutôt que ceux dont l’âme est rétrécie par le besoin, qu’en un mot les riches doués de quelque vertu ou de quelque image de vertu plutôt que les pauvres remplis de vices dont ils ne savent point rougir, fussent regardés comme les plus dignes de gouverner, comme les meilleurs[1].

Lorsque les citoyens, ne se contentant plus de trouver dans les richesses des moyens de distinction, voulurent en faire des instruments de puissance, alors, comme les vents furieux agitent la mer, ils trou-

  1. Le peuple pris en général veut la justice. Lorsque le peuple tout entier constitue la cité, il fait des lois justes, c’est-à-dire généralement bonnes. Si donc, comme le dit Aristote, de bonnes lois sont des volontés sans passion, en d’autres termes, des volontés dignes du sage, du héros de la morale qui commande aux passions, c’est dans les républiques populaires que naquit la philosophie ; la nature même de ces républiques conduisait la philosophie à former le sage, et dans ce but à chercher la vérité. Les secours de la philosophie furent ainsi substitués par la Providence à ceux de la religion. Au défaut des sentiments religieux qui faisaient pratiquer la vertu aux hommes, les réflexions de la philosophie leur apprirent à considérer la vertu en elle-même, de sorte que, s’ils n’étaient pas vertueux, ils surent du moins rougir du vice.
      A la suite de la philosophie naquit l’éloquence, mais telle qu’il convient dans des états où se font des lois généralement bonnes, une éloquence passionnée pour la justice, et capable d’enflammer le peuple par des idées de vertu qui le portent à faire de telles lois. Voilà, à ce qu’il semble, le caractère de l’éloquence romaine au temps de Scipion l’Africain ; mais les états populaires venant à se corrompre, la philosophie suit cette corruption, tombe dans le scepticisme et se met, par un écart de la science, à calomnier la vérité. De là nait une fausse éloquence, prête à soutenir le pour et le contre sur tous les sujets. (Vico.)