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particuliers, et que, pour atteindre ce but, ils tournent les forces nationales à la ruine de leur patrie, alors il s’élève un seul homme, comme Auguste chez les Romains, qui, se rendant maître par la force des armes, prend pour lui tous les soins publics et ne laisse aux sujets que le soin de leurs affaires particulières. Cette révolution fait le salut des peuples, qui autrement marcheraient à leur destruction. — Cette vérité semble admise par les docteurs du droit moderne, lorsqu’ils disent : Universitates sub rege habentur loco privatorum ; c’est qu’en effet la plus grande partie des citoyens ne s’occupe plus du bien public. Tacite nous montre très bien dans ses Annales le progrès de cette funeste indifférence ; lorsqu’Auguste fut près de mourir, quelques-uns discouraient vainement sur le bonheur de la liberté, pauci bona libertatis incassum disserere ; Tibère arrive au pouvoir, et tous, les yeux fixés sur le prince, attendent pour obéir, omnes principis jussa adspectare. Sous les trois Césars qui suivent, les Romains, d’abord indifférents pour la République, finissent par ignorer même ses intérêts, comme s’ils y étaient étrangers, incuria et ignorantia reipublicæ tanquam alienæ. Lorsque les citoyens sont ainsi devenus étrangers à leur propre pays, il est nécessaire que les monarques les dirigent et les représentent. Or comme dans les républiques un puissant ne se fraie le chemin à la monarchie qu’en se faisant un parti, il est naturel qu’un monarque gouverne d’une manière populaire. D’abord il veut que tous les sujets soient égaux, et il humilie les puissants de façon que les petits n’aient rien à craindre de leur oppression. Ensuite il a intérêt à ce que la multitude n’ait point à se plaindre en ce qui