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à tous les autres membres, et soumis seulement à Dieu. Leur pouvoir fut armé des terreurs d’une religion effroyable, et sanctionné par les peines les plus cruelles ; c’est dans le caractère de Polyphème que Platon reconnaît les premières pères de famille[1] — Remarquons seulement ici que les hommes, sortis de leur liberté native, et domptés par la sévérité du gouvernement de la famille, se trouvèrent préparés à obéir aux lois du gouvernement civil qui devait lui succéder. Il en est resté cette loi éternelle, que les républiques seront plus heureuses que celle qu’imagina Platon, toutes les fois que les pères de famille n’enseigneront à leurs enfants que la religion, et qu’ils seront admirés des fils comme leurs sages, révérés comme leurs prêtres, et redoutés comme leurs rois.

Quant à la seconde partie de la science économique, l’éducation des corps, on peut conjecturer que, par l’effet des terreurs religieuses, de la dureté du gouvernement des pères de famille et des ablutions sacrées, les fils perdirent peu à peu la taille des géants, et prirent la stature convenable à des hommes. Admirons la Providence, d’avoir permis qu’avant cette époque les hommes fussent des géants : il leur fallait,

  1. Cette tradition mal interprétée a jeté tous les politiques dans l’erreur de croire que la première forme des gouvernements civils aurait été la monarchie. Partant de cette erreur, ils ont établi pour principe de leur fausse science que la royauté tirait son origine de la violence, ou de la fraude qui aurait bientôt éclaté en violence. Mais à cette époque où les hommes avaient encore tout l’orgueil farouche de la liberté bestiale, cette simplicité grossière où ils se contentaient des productions spontanées de la nature pour aliments, de l’eau des fontaines pour boisson, et des cavernes pour abri pendant leur sommeil ; dans cette égalité naturelle où tous les pères étaient souverains de leur famille, on ne peut comprendre comment la fraude ou la force eussent assujetti tous les hommes à un seul. (Vico.)