Page:Michel Corday - La Houille Rouge, 1923.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.

alerte ». À l’orchestre, deux ou trois voix ordonnèrent, d’un ton bref et fier : « Continuez ». On continua. À part quelques exceptions, personne ne bougea. Ainsi, deux ou trois voix avaient décidé du sort de la salle, des acteurs et du personnel. Quel symbole de la guerre, ces deux ou trois individus qui disposent de milliers d’existences, grâce à l’orgueil unanime !

Oui, l’orgueil. Chacun, dans cette salle, souhaitait d’être à l’abri et ne restait à sa place que par souci du voisin, de ce voisin qui, lui-même, aurait bien voulu être ailleurs. Se lever, c’était se déshonorer, aux yeux des autres. Ah ! le respect humain… L’immense et mutuelle duperie… On dit que l’amour est plus fort que la mort. L’amour-propre aussi.

Cependant le hurlement des sirènes, puis le tambourinement dru des tirs de barrage, l’explosion sèche des bombes, couvraient la voix des acteurs.

Pendant l’entr’acte, où l’on apprit que ces bombes tombaient à quelques centaines de mètres, boulevard Saint-Germain, on tint conseil autour de l’administrateur : devait-on arrêter la représentation, ou bien jouer le troisième acte, achever la pièce ? Naturellement, là comme ailleurs, le « jusqu’au bout » l’emporta.