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lanterne, elle précéda l’enfant tremblante jusqu’à une des étables ; le chien la suivit en rampant, c’était là qu’il couchait pour protéger les moutons. Le matelas de Louise y avait été apporté déjà ; son lit était fait sur un tas de paille, dans l’angle le plus propre, entre deux grandes chèvres des montagnes, qui allaitaient leurs petits. Je ne serai pas toute seule, pensa l’enfant en regardant les chèvres. Les filles de ferme couchaient dans l’étable aux vaches, les garçons avec les chevaux ; Louise ne se sentait pas trop épouvantée d’être avec les chèvres et les moutons ; mais la façon dont il y avait été conduite, lui serrait le cœur. Déshabille-toi, dit Mme Legof. Elle se tenait debout, sa lanterne à la main, tandis que l’enfant laissait tomber ses petits vêtements encore gracieux. Angèle aimait à parer ses jeunes sœurs et tout n’était pas usé. Sa petite robe à manches courtes, décolletée en carré, tout en étant d’une grosse étoffe, parait l’enfant ; Mme Legof, dans un accès de jalousie maternelle, lui avait fait ajouter un fichu d’indienne à ramages, croisé sur sa poitrine. Bonsoir, madame, dit l’enfant, droite sur son petit lit et n’osant l’embrasser. Mme Legof ne répondit pas et sortit avec sa lanterne. Alors, malgré la présence des deux grandes chèvres qui s’étaient couchées sur le bord de son lit, Louise fut prise d’une grande frayeur. Il faisait si noir dans l’étable qu’on ne distinguait pas les animaux ; à peine, si par la lucarne on voyait un point moins compacte. Louise mit sa couverture sur sa tête, et se blottit au fond du lit ; mais elle essayait en vain de dormir, la peur la tenait. Elle entendit sonner les heures à l’horloge du village et les compta s’imaginant qu’elle ne revenait jamais le matin. Vers deux heures, il se fit un grand mouvement dans le troupeau, la petite entendait souffler les béliers comme quand ils sentent le loup. Effrayée, elle sortit un peu de ses couvertures pour appeler le chien ; il vint en effet, mais s’échappa de ses bras en poussant de si horribles plaintes qu’elle se mit à pleurer. Comme Thérèse est heureuse dans son petit lit ! se disait-elle. Ce n’était pas jalousie, mais elle eût voulu pour tout au monde être dans la petite chambre avec Thérèse. Le chien renouvelait à de rares intervalles sa plainte épouvantable, enfin il cessa tout à fait et se mit à gronder en faisant du bruit comme s’il eût rongé du bois. Louise voulut crier, sa langue restait immobile dans sa bouche, sa gorge était serrée. Alors il se passa une chose affreuse, le chien commença contre le troupeau une chasse frénétique qui passait sur le corps de l’enfant blottie sous ses couvertures, bientôt elles furent en lambeaux. Les petits pieds fourchus des moutons lui entraient dans le corps, les grandes