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LA MISÈRE

933 contre son estomac qui refusait une telle quantité, se soumit volontairement à la question du vin. Les uns en avalèrent une partie, les autres essayèrent en vain malgré les rires des vainqueurs et alors renversant la tête en arrière, faisant entonnoir avec les bols ils se vidèrent le liquide dans la gorge. Quelques-uns tombèrent à terre succombant sous un humble dégoût ; les autres purent s’asseoir, mais n’en valaient guère mieux ; un ou deux, parvenus sans grimace au tour de force, se tenaient debout n’osant remuer, dans la crainte de succomber eux aussi au dégoût. Parmi eux était le jeune magistrat. Fleur d’or regardait impassible. De Méria assis dans une demi-ivresse, laissait échapper des paroles sans suite, il venait d’absorber le contenu d’un des bols. Allez chercher Mme Catherine, dit Fleur d’or au domestique qui servait. Quelques minutes après la vieille femme entrait, montrant de Méria plongé dans des hallucinations alcooliques. Fleur d’or lui dit : Écoutez. Celle-ci reconnut le misérable à travers la ruine de son visage ; elle joignit les Inains. — Pierre, dit la courtisane au domestique qui allait sortir, appelez les autres et venez tous. Vous allez être témoins d’une étrange chose. Sansblair, mon bon, De Méria laissait échapper des paroles en trecoupées : reprends ton violon, on dirait le paradis de Maho met avec cette musique. « Ah ! voilà le vicomte d’Epailhac ; tu as changé de peau, Nicolas, mon ami ! Fleur d’or secoua le bras du jeune magistrat endormi les coudes sur la table Monsieur Félix, dit-elle, réveillez-vous, écoutez ce que raconte M. de Méria. Félix, dégrisé par la voix sombre de Fleur d’or, secoua sa tête alourdie par l’ivresse et crut entrer en plein dans le songe quand il entendit de Méria élucider devant lui l’enquête qu’il avait faite autrefois à Notre-Dame-de-la-BonneGarde. Tout en croyant rêver, ce qu’il entendait l’impressionna tellement, qu’à son tour, il secoua les trois hommes restés à table la tête appuyée sur leurs bras arrondis. Écoutez, dit-il. « N’aie pas peur, Rose, disait de Méria, ne crie donc pas ainsi, nous allons dans une belle maison, on te donnera tout ce que tu voudras ! Félix avait tiré son carnet, il écrivait ; les autres écoutaient à demi hallucinés. Mme Catherine, debout contre le mur, les yeux grands ouverts, pâle, buvait les paroles. Les domestiques, ne comprenant rien encore à l’intérêt qu’on apportait aux divagations d’un ivrogne, regardaient les visages livides de Fleur d’or et de la vieille. L’un d’eux se disait : C’est bien vrai que Mme Fleur d’or a été morte, voilà celui qui l’a tuée. L’ivrogne continua :