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Le petit était rêveur. — N’est-ce pas, dit-il ? on dirait qu’il y a des particuliers qui ont un millier d’estomacs à emplir et d’arpions à chausser pour eux tout seuls. C’est cela, môme ! Ajoute qu’il y a des milliers d’autres particuliers qui crèvent à la peine pour engraisser ceux-là. Pourquoi qu’ils sont si sinves, dit le petit en piquant avec son crochet un paquet de papiers. Derrière eux, une femme ayant longtemps marché sans doute, car elle paraissait fatiguée, venait reconnaître la maison. Préoccupée ou harassée, un de ses larges pieds glissa du trottoir, elle fut tombée sans le secours de l’enfant. Elle le fixa un instant, puis dit tout à coup : merci, mon ami, comment t’appelles-tu ? Demandez à papa, dit le gamin. Le vieux chiffonnier s’avança. C’est mon môme, dit-il. La femme s’excusa d’avoir demandé le nom. — C’est, dit-il fièrement, le mioche au fils du guillotiné.. Ils s’éloignèrent tous deux ; mais Mme Marcel, que le lecteur a déjà reconnue, jugea aussi à propos de les filer que de reconnaître la maison. Décidément, se dit-elle, toutes les chances sont pour les méchants, elles me tombent comme une pluie bienfaisante. Les deux domestiques étaient entrés avec Davys-Roth, circonstance qui avait échappé à M. Marcel occupée de l’enfant et de la maison. Le père les conduisit dans son cabinet, leur fit poser les caisses et les invitant à s’asseoir comme de vieux amis, il alla lui-même leur chercher des rafraîchissements, auxquels il mêla quelques gouttes d’une de ces liqueurs dont comme Mme Marcel il avait le secret (ancienne confiserie monastique). Avez-vous remarqué, comme le comte était changé aujourd’hui, disait Davys-Roth. Non, dit un des domestiques, je l’ai trouvé comme à l’ordinaire. — Il a quelque mauvais pressentiment, reprit Davys-Roth tout en considé rant le visage des deux pauvres diables. Ils n’éprouvaient rien encore ! Enfin l’un d’eux se plaignit d’un malaise général, et voulait retourner à l’hôtel. — Attendez, dit Davys-Roth, je vais auparavant être votre médecin, il lui administra une autre préparation, ayant pour but de hâter l’effet de la première. Bientôt il en fut de même du second, ces deux malheureux tombant se roulèrent quelques instants après sur le parquet ; ce fut tout. Quand il se fut bien assuré qu’ils étaient morts, Davys-Roth les emporta l’un après l’autre dans un de ses souterrains où s’ouvraient des trous qu’on eut dit préparés ; il tira sur eux la terre humide, et remonta éveiller l’abbé Philippi, qu’il conduisit dans sa chambre.