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LA MISÈRE

77 un coup de sifflet qui se perdit dans le bruit du bastringue. Il recommença. Alors deux ou trois ombres se détachèrent de la muraille et, bientôt, sans l’épouvantable vacarme qui emplissait la chambre, on aurait pu entendre des pas dans l’escalier. La porte s’ouvrit. Des agents de la police des mœurs firent irruption dans le bouge et se précipitèrent sur les femmes. Olympe poussa un cri terrible en voyant Angèle chanceler et tomber comme morte dans les bras d’un agent. Elle voulait parler, expliquer que son amie n’était pas une fille. Elle n’était pas EN CARTE. On n’avait pas le droit…. € Pas en carte ! Eh bien ! alors, elle est en double contravention : tapage nocturne et débauche non autorisée » dit l’un des agents. Olympe protesta de l’innocence d’Angèle. — » — Ferme ta gueule, » riposta l’un des policiers, « tu nous embêtes, allons, marche, vous vous expliquerez à la préfecture. » Il poussa la fille et voulut l’entraîner. Mais dans la prévision de ce qui allait suivre, elle opposa une résistance désespérée. Elle voulait protéger Angèle. Elle mordit les agents, ce n’était plus une femme, c’était une tigresse. Les agents la renversèrent, et l’un d’eux, un genou sur la poitrine de la malheureuse lui mit un bâillon dans la bouche, un autre lui lia les mains. Ainsi réduite à l’impuissance, deux hommes la descendirent. Angèle venait derrière, portée par un sergent de ville. Dans la lutte, elle avait perdu son bonnet, ses cheveux dénoués balayaient les marches de leurs longues tresses. Amélie suivait sans dire un mot. M. Nicolas resté seul avec son ami, alluma un cigare et dit : Nous avons bien travaillé, nous pouvons passer à la caisse de la rue des Postes et à celle de la rue de Jérusalem. Ils s’en allèrent, l’enfant resta seule. XIX LE SUICIDE Auguste avait fui le théâtre de sa vengeance sans avoir été aperçu de ceux qui s’étaient portés au secours de M. Rousserand. Sans savoir où, il s’en était allé du côté des fortifications, l’âme pleine des effarements du meurtre, répétan sans le vouloir le cride sa conscience bouleversée : « J’ai tué un homme ! j’ai tué un homme ! » > Cela lui paraissait énorme, épouvantable. Toute la nuit, le jeune meurtrier avait erré dans la campagne, en proie à toutes les visions de la peur, croyant entendre dans chaque bruit le rugissement suprême de sa victime, voyant un gendarme dans toutes les épaisseurs de l’ombre. Au matin, grelottant de froid, mourant d’inanition, il s’était trouvé du côté de Pantin, dans la plaine des Vertus.