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LA MISÈRE

763 Puis, les idées du misérable subirent une transformation : son idéal d’artiste, étouffé par la vie qu’il avait menée, s’éveilla sous le coup de fouet de la haine ; il vit en grand son œuvre, la fit vibrer comme un accord, l’idéalisa en quelque sorte, et songeant aux crimes des deux êtres qu’il avait devant lui, il se crut un justicier. Pierrot tout pâle, les mains jointes, regardait toujours en extase. La princesse ne l’avait pas encore aperçu ; tout à coup, ses yeux tombèrent sur l’enfant. Désirez-vous quelque chose, mon ami, lui dit-elle en anglais ? — O no, milady, no ! Son cœur crevait au pauvre petit. Néanmoins, il fit bonne contenance. Le visage du prince était couvert d’une pâleur verdâtre. La princesse avait des mouvements fébriles qui n’échappaient point à Claude Plumet, mais la soirée continuait. Claude Plumet, que son ignorance de la langue anglaise, dispensait de la conversation, savourait les premières impressions de ce régal des rois et des prêtres. qu’on appelle la vengeance. Le petit laissait flotter dans le vague sa pensée, affolée par la rencontre qui venait d’avoir lieu. Les conversations, les projets, les jeux avaient leurs cours. On parla beaucoup, avant de se séparer, d’une œuvre de protection des jeunes filles qui voudraient bien se placer, soit à Londres, soit dans d’autres villes d’Europe ; la princesse et les plus rouées des dames présentes, n’ignoraient pas qu’on aurait pu appeler cette œuvre, une traite des blanches ; mais chacune faisant de l’hypocrisie, les dehors étaient conservés. Me serai-je trompé, se disait pour la centième fois Mathias ; n’est-ce point réellement un mineur ? Mais non, pourquoi aurait-il quitté son pays où il pouvait vivre paisiblement avec son fils, c’est bon, du reste, pour ces insulaires, d’avaler que des compagnies des mines donnent de colossales indemnités ! A d’autres !… je connais trop les largesses des capitalistes. On n’a pas vécu sans y voir clair. On se défera de vous, l’ami Claude ! Cette conclusion rassurait le prince Mathias. Presque à l’instant où les invités se retiraient, un reporter de cette belle œuvre, qu’on nommait la ligue catholique, et dont nous connaissons une partie des honorables membres, apporta les dernières nouvelles de la presse bien pensante à propos de la maison de convalescence. Cet article avait été donné (sans signature) par Davys-Roth, à un journal non clérical, mais jésuite parfait ; on s’étonnait, qu’après un si long laps de temps,. surtout après vérification, qu’un cimetière avait existé dans les jardins de la maison de convalescence, on en vint à reparler de ces absurdités ; le cimetière recevait des morts à une époque si rapprochée, que le squelette de l’enfant, pris. pour Rose Mixlin avait été reconnu par la véritable mère. « Après la disparition, parfaitement imputable aux ennuis qu’on leur suggé--