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LA MISÈRE

727 un abîme où ses os pourraient blanchir en paix, à moins que quelque chien amaigri par le jeûne, ne parvint à s’y glisser. Le fugitif entendait, de son asile, la chasse sur les toits ; il entendait les perquisitions dans les mansardes ; ses jambes commençaient à se raidir, sa tête brûlait sous le soleil, ses oreilles bourdonnaient. — Pourquoi, se disait Auguste, n’étouffe-t-on pas au berceau ceux qui doivent être si malheureux ? « Ne serait-ce pas autant d’esclaves de moins, mais pourquoi, l’esclave n’auraitil pas son tour ? » La fièvre venait, des frissons couraient sur le corps du malheureux. L’heure sonnant à une horloge lointaine, lui arrivait à travers les airs ; elle se traînait lente et terrible. Ses jambes fléchissaient, le moindre mouvement l’eût entraîné. Le mouvement arriva : un des agents prenant un vitrage pour la suite des toitures, tomba avec bruit dans un atelier où il se fracassa une jambe ; cet accident termina la journée. L’ébranlement produit par la chute de l’agent entraîna Auguste ; il tomba dans l’étroit abîme, froissé, déchiré, serré, entraîné par son poids, retenu par l’espace étroit, mais toujours descendant jusqu’au fond. Auguste était, en arrivant à terre, dans la position d’un supplicié qu’on retirerait de la roue ; mais une chute dans ces conditions ne pouvait être mortelle. C’était la faim qui terminerait son existence s’il ne parvenait à se faire assez mince pour ramper jusqu’à l’orifice. Son poids l’avait entraîné Mais il lui faudrait pour sortir une force inouïe. Quelque courage qu’il eût, Auguste ne fut pas fâché d’avoir à attendre la nuit ; le lendemain peut-être, car les rues allaient être gardées. Fermant les yeux, il se laissa aller à un assoupissement tenant du cauchemar et de l’évanouissement. Il revoyait sa cellule à Mazas, l’attaque de la voiture, la mansarde, la chasse à l’homme sur le toit ; tout cela, tourbillonnant autour de sa tête, il s’évanouit. Quand Auguste revint à lui, la fraîcheur de la nuit ayant soulagé ses meurtrissures, il appela à lui toute son énergie et recommençant la torture qu’il avait éprouvée en tombant, se glissa vers une des extrémités. Ses vêtements étaient en lambeaux, et après ses vêtements sa chair. Il faisait meilleur sous les meules qui broient le grain, que dans cet abîme à peu près de la largeur de sa tête où il faisait passer tout son corps à force de le presser, de l’aplatir, de le forcer. Enfin, il parvint à l’extrémité. Cette extrémité était murée ! Alors le courage d’Auguste tomba ; il frappa de ses mains saignantes le mur maudit. Je vais donc me voir mourir ainsi, se disait il. Le jeune homme resta quelques instants immobile, le cœur lui tournait.