Amélie s’enfuit précipitamment ; elle savait ce qu’elle voulait savoir, et le petit Pierrot tout trébuchant de fatigue, s’en alla longeant les maisons pour regarder les vêtements aux étalages. Rien ne lui paraissant assez beau, il ne se décida pas ce soir-là ; mais s’etant trompé de chemin et se trouvant à Montmartre au lieu d’être au faubourg Antoine, il poursuivit jusqu’aux fours à plâtre qu’il connaissait aussi bien que pas un. Grâce à Sansblair, Nicolas, le lendemain, attendit en vain le Mercure de ses messages amoureux. - — On l’aura tué pour avoir les vingt francs, se dit-il ; c’est dommage, il m’était utile. J’aurais préféré qu’il ne lui arrivât malheur que dans deux ou trois ans, l’âge ingrat. Personne que Nicolas ne s’aperçut de la disparition de Pierrot ; ce n’était pas la peine que le charbonnier prît tant de soin de le déguiser. Amélie, résolue à pousser à bout l’aventure, espérait suivre le petit dans sa course du lendemain ; mais il ne vint pas. Nicolas alla au journal, à la préfecture et au café partout Amélie fila le policier avec une adresse incroyable. Il y avait de l’ouvrage à la préfecture ! Toutes les meutes étaient lancées aux quatre vents du ciel pour l’évasion de Sansblair dont le croquis, fait de mémoire, avait été photographié et envoyé par- tout, et pour l’assassinat de Trompe-l’œil. L’affaire Rousserand était au second plan. La prévention d’Auguste s’éternisait quoique la mort de Trompe-l’œil, tué Rousserand et les autres, dût le décharger. Lesorne au sortir de chez Mme Grégoire, avait réfléchi ; se sentant deviné, ou au moins soupçonné, il conjura le danger de la sortie d’Auguste en écrivant au préfet de police, une lettre anonyme, ainsi conçue : • Monsieur le préfet de police. « Vous avez affaire à une association de malfaiteurs et non à deux ou trois « < assassins ; un des chefs s’est évadé, mais vous avez l’autre, Auguste Brodard, « < scélérat des plus déterminés et des plus dangereux par sa dissimulation ; sa ⚫ mise en liberté serait le signal de nouveaux crimes. Il a correspondu, même ⚫ pendant son emprisonnement, avec les plus audacieux bandits. « Quelqu’un dont les jours sont menacés et qui ne peut se faire connaître. » > Ayant envoyé cette missive, Lesorne se sentit rassuré. Mais qu’allait-il faire sous la continuelle appréhension où il vivait ? Il est vrai que les Brodard lui devaient de la reconnaissance pour son dévoue- ment unique, mais s’ils savaient la substitution il fallait s’en défier. La lettre anonyme réussit comme réussissent d’ordinaire ces infamies. On écrivit à Clairvaux pour demander communication complète des notes d’Auguste pendant son séjour dans la prison. On remarqua l’adoucissement de son caractère, et loin de voir que la passion de l’étude lui faisait oublier même ses
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LA MISÈRE
