Page:Michel - La misère.pdf/630

Cette page n’a pas encore été corrigée
630
LA MISÈRE

630

cacher, mais il y a décadence dans la profession, heureusement pour les honnêtes gens ! Voici une de ces lettres : « Saint-Étienne, mai 18… << Ma chère cousine, « Nous nous portons bien et vous embrassons. Quand vous verrez le parent, « qui doit venir à Paris, dites-lui qu’il y a de l’ouvrage içi pour lui. « Nous vous embrassons,

  • Votre cousin : KARADEUK. »

Le silence d’Auguste, celui de Mme Grégoire désolaient la famille Karadeuk. N’est-il pas ordinaire que les misérables ne soient jamais tranquilles ? ils sont le gibier, et le cerf n’a pas même le temps de boire pour soulager son agonie. M. Potache, le garde-mine, assez ennuyé dans la ville où son aventure s’était répandue, demanda et obtint de l’avancement dans des mines éloignées, où il porta son goût pour les jeunes filles et son dégoût des travailleurs. Il fut remplacé par un plus habile, mais non meilleur. LXXIII HONNÊTES PERSONNAGES Près des rues de Bercy, Traversière et des Charbonniers, est une immense construction d’aspect étrange ; on dirait, à l’épaisseur des murs, un manoir féodal, plus l’étendue, moins la grandeur sauvage ; cette forteresse a trois étages, contenant chacun six rangées de cellules et six corridors aboutissant à un même point d’où le gardien, comme l’araignée au centre de sa toile, embrasse d’un coup d’œil toute la prison. Quand on démolira Mazas, on trouvera aux ruines la forme d’un gigantesque éventail ou d’un demi-soleil dont les rayons sortent du même foyer. Mazas, qui a remplacé la Force, occupe environ quatre mille mètres de terrain ; il ya un peu moins de mille trois cents cellules : les amateurs du système cellulaire y viennent prendre des notes. Grand mal leur fasse ! ce n’est pas la cellule qui empêchera le mal d’avoir été commis ni qui le réparera jamais ; mieux vaut préserver que sévir. Ce n’est pas la cellule non plus qui changera les convictions des prisonniers politiques. Pendant les dernières années de l’empire, les échos de Mazas répétèrent bien des chants révolutionnaires ; ceux qui les disaient sont maintenant ensevelis dans leur drapeau, sous la chaux vive ou dans les cimetières calédoniens. Lesorne et Auguste Brodard étaient au secret ; mais Lesorne trouvait mille