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LA MISÈRE

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Monsieur, dit Me Grégoire, nous ne sommes pas ce que vous croyez, maiș si vous avez rendu service à Lesorne, dans la recherche des petites Brodard, nous vous remercions. Ces dames sont honnêtes, dit Auguste. — Ah ! je ne dis pas ! d’abord la petite est inscrite, mais ça ne suffit pas pour être en règle. Auguste était frappé au cœur. Cet homme à l’air de bête fauve, c’était un ami de son père ; cette jeune fille qui le charmait c’était une prostituée, mais n’étaitil pas lui-même un condamné libéré ? LXIX EFFONDREMENT De Méria et sa jeune femme habitaient le petit château à tourelles acheté par M. Rousserand pour sa fille. Mme Rousserand n’avait pu obtenir encore sa séparation ; elle vivait également éloignée de son mari et de son gendre dont elle avait horreur, essayant de se distraire par les bienfaits partiels qui ne sont pas même équivalents à deux ou trois trous bouchés dans un crible. Mais enfin c’était une digne et courageuse femme. Comme il se trouve de mauvaises heures dans toute vie, il s’en trouve aussi où, qui que vous soyez, le bien vous attire. Tout voyageur égaré, cherche la lumière qui indique un toit hospitalier ; tout être humain, quelque corrompu qu’il soit, a eu ou aura des velléités du bien ; des désirs de ce pain qu’on appelle le devoir. Mais le passé, comme un boulet, retient les uns ; les lois fatales, comme une pierre au cou, attirent les autres au fond de l’eau. De Méria, séduit par la fraîche jeunesse de Valérie, s’imaginait pouvoir se bâtir un nid de mousse sur les débris fangeux et saignants du passé. Il s’imaginait parfois, qu’il pouvait avoir un intérieur comme tout le monde après ce qu’il avait fait. Des enfants, jouant autour de lui ; des enfants ! il revoyait la petite Rose ! il entendait le miaulement sinistre du chat, témoin inconscient qui l’effrayait. Mais bah ! il fallait oublier ! que peut-on faire au passé ? Une fois il songea à se confesser — mais aussitôt il éclata de rire ! Lors même, que comme dévot de profession, son confesseur ne le livrerait point aux tribunaux, cela lui faisait l’effet d’un gargotier qui mangerait de sa cuisine. Il était inquiet aussi, de la façon dont le monde envisageait l’éloignement où le tenait M Rousserand, mais peut-être n’en savait-on rien ! et puis, si sa bellemère n’avait pas voulu assister à la noce, si elle ne mettait pas les pieds chez lui, elle était, du moins, incapable de troubler la paix de son ménage.