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Pendant le dégel, elle était tombée de faiblesse sur le trottoir. On l’avait portée à l’asile de nuit. Maintenant qu’un petit verre de vin chaud lui avait rendu un peu de forces, assise sur une chaise basse, elle étendait devant le poêle, ses mains tremblantes, toutes crevassées. Dans sa petite figure, ridée comme une vieille pomme, ses grandes prunelles fauves recommençaient à luire sous ses paupières à bourrelets rouges. De sa jupe rapetassée, mouillée jusqu’aux cuisses, ramenée par-devant, sortait une buée à travers laquelle on la voyait, comme une de ces vieilles fantastiques des contes de fées, dans une image à demi effacée par la moisissure. Une grande efflanquée qui tournait le dos à Angèle dit entre deux accès de toux : — Ah ! là là ! la petite mère, vous avez du faire du chemin dans la crotte. pour vous mouiller comme ça. » -Hét hé ! pas plus que toi, peut-être, pour t’y sécher comme un hareng saur, répondit la vieille. > La grande efflanquée se retourna vivement pour cacher le rouge qui lui montait au visage. Angèle reconnut Olympe. « Après ça, dit la vieille, s’adoucissant, « c’est p’t'être pas plus ta faute que la mienne, si nous sommes comme nous sommes. » On appela Olympe pour la visite. Elle y alla. Une des surveillantes dit à la marchande de mouron : Hében ! la petite mère, ça va mieux ? On a remis de l’huile dans la lampe, la mèche se rallume. Mais faut pu faire de bêtises : quand on a su le casaquin tant d’années de service, on prend sa retraite. L’hospice, avec ses trois repas par jour, ses bonnes robes de laine, ses grandes salles bien chandes pour l’hiver, vous va à c’t'heure comme une bague au doigt. Qu’en savez-vous ? demanda la vieille en s’animant, et elle se mit à raconter la mort de tous ses anciens. Ah ! elle en avait des quartiers de misère : de père en fils, de mère en fille, tout le monde, dans sa famille, mourait à l’hôpital ! C’était-y pas un vrai guignon ! Fallait donc toujours subir son pauvre sort sans essayer de le changer ? Ah ! non ! la petite marchande avait juré de mettre une fin à c’te manière de commencer lé grand voyage, elle voulait changer de station. Elle avait déjà commencé. Vous allez voir. Un jour qu’elle-même sortait de la Pitié, elle avait trouvé la chambre vide. Sa mère était à la Salpêtrière où on l’avait mise avec les gâteuses ! Je vous demande un peu une femme qui avait l’esprit sain comme l’œil ! Ah ! jour de Dieu ! elle était partie comme un coup de pistolet, pour la chercher. Elle l’avait gardée sept ans, infirme ; ça fui en avait donné du fil à retordre : ses quat’sous avaient filé chez l’apothicaire, et son ménage pièce à pièce, chez ma tante ! C’est égal ! elle ne s’en repentait pas, et si c’était encore à faire, oui, elle irait sur ses genoux, chercher sa pauv’maman. Pour elle, c’est comme si tous les notaires y avaient passé, elle était bien résolue à continuer le métier malgré les soixante-quinze ans qu’elle allait avoir le 26 février prochain.