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LA MISÈRE

503 Deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche il y avait à la maison de conyalescence, des soirées enfantines auxquelles assistaient de Méria, Nicolas et les autres membres de l’œuvre. Les domestiques, ce soir-là, avaient congé, pour aller s’amuser aux conférences du bon père ; lequel, les remarquait avec édification, rangés tous les huit devant la chaire. Le gros cocher, le grand lézard de laquais, la femme de chambre à tête de belette, la cuisinière, qui semblait de race porcine et trois bonnes venant de la Bretagne et ne parlant que le bas breton ; elles n’en écouteraient pas moins avec recueillement tout comme elles écoutaient le latin de la messe. Onaurait difficilement trouvé têtes plus moutonnières, cerveaux plus étroits, êtres plus passivement dociles. Chacun de ces individus recevait dix francs pour les menus plaisirs de sa soirée et ne dépensant rien, les empochait. Quant au concierge, il avait également ses dix francs, et restait la pensée et les yeux rivés à la grille. Toutes ces munificences avaient un but. LV LE MOT DU MYSTÈRE L’effroi s’empara de Claire, elle apportait à tout une attention scrupuleuse et tout lui paraissait suspect. Au dîner, servi avec un soin particulier, certaines choses l’inquiétèrent, par exemple, Mme Helmina, ayant passé dans une petite pharmacie attenant à la salle à manger, en rapporta deux bouteilles d’un certain malaga, qui, dès la première gorgée, parut à la jeune fille avoir un goût étrange. Elle songeait aux livres, lus en cachette, où des aubergistes criminels endorment les voyageurs avant de les assassiner. Pourtant, on ne pouvait égorger les enfants ! que se passait-il done ? Claire laissa le vin dans son verre, elle eut voulu que Sophie en fit autant, mais l’enfant, se méprenant sur le signe qu’elle fit, but d’un trait. Un fait justifia les soupçons de Claire, les enfants ne tardèrent pas à s’endormir d’un profond sommeil, elle-même, quoique ayant à peine trempé ses lèvres dans son verre, sentait ses paupières lourdes. La crainte et la curiosité la tinrent en éveil. — Ces enfants sont si faibles, dit Mme Helmina que la fatigue du repas les endort. Le regard de la directrice tomba en parlant ainsi sur le verre de Claire. << Vous ne buvez pas, chère enfant, demanda-t-elle. — Je ne le puis, répondit Claire, moi aussi, je suis fatiguée, à cause de mon voyage sans doute. Et puis je suis habituée à me coucher de bonne heure.