Angèle tâchait de l’apaiser tout en veillant contre une nouvelle attaque. Elle eut de la chance, cette attaque n’arriva pas. Le silence n’était plus troublé que par les ronflements de plus en plus sonores de l’ivrogne. Il ne fallait pas songer à trouver des allumettes dans le désordre du taudis. Son excursion dans le monde, à la recherche d’une position honnête, commençait bien pour Angèle. Pauvre graine de misère, elle avait la prétention de germer autre part que dans la boue ! Je vous demande un peu s’il y avait du bon sens ! Elle passa la nuit dans un angle de la mansarde, mordue par les frissons de la fièvre, les pieds en sang, n’ayant pour tout vêtement que sa pauvre chemise, se courbant sur sa fille pour la réchauffer, luttant malgré sa terreur contre un sommeil de plomb qui fermait ses paupières. La fatigue l’endormait, la frayeur la réveillait à tout instant. Et dans ces quelques minutes d’anéantissement qui sont le sommeil de la fièvre, des visions terribles passaient et repassaient en procession de fantômes dans sa tête endolorie. Elle se voyait au fond d’un cloaque avec sa petite Lize. Son père oh ! qu’il était changé avec sa longue barbe blanche, son œil profond et ses joues creuses, son père voulait les sauver, mais, attaché à une roche, il ne pouvait venir à leur aide, et les gardes-chiourme riaient de son impuissance, tandis que le ang ulait sous les meurtrissures de la chaîne. Puis, cette figure du désespoir dans l’impuissance s’évanouissait dans l’ombre grise du rêve, celle d’Auguste, hâve, maigre la remplaçait. Un rictus sauvage relevait sa lèvre et montrait une rangée de dents aiguës, serrées par une rage froide. Il avait un couteau à la main et du sang sur sa blouse. La scène se passait dans un endroit désolé qu’Angèle se figurait être une plage. La bise sifflait et tordait les cheveux d’Auguste. Puis là-bas là-bas, dans l’écume, la mer roulait ses petites sœurs. Angèle s’éveillait. les tempes humides d’une sueur glacée, et la réalité se dressait devant elle plus atroce que les tortures du cauchemar. Les premières lueurs de l’aube commencèrent à jeter des lueurs jaunâtres sur les toits. Puis le soleil s’alluma dans les teintes orangées du ciel. Il était grand jour. Les moineaux babillaient au bord de la fenêtre. Angèle ouvrit ses grands yeux bleus et parut d’abord tout étonnée de se voir au milieu de ce chaos. La mémoire lui revint. L’ivrogne, plongé dans le sommeil, était toujours là sur le plancher, au milieu d’un tas de débris. La jeune fille put quitter son coin, se couvrir à la hâte de ses pauvres habits, envelopper son enfant dans le vieux châle dont sa mère s’était privée pour elle, le jour de sa sortie de la Bourbe. C’était un mercredi. Les hospices ne sont pas ouverts à Paris ce jour-là. Angèle se promit d’aller voir Olympe le lendemain. Suivant ce qu’elle avait annoncé, la grande fille devait être à l’Oursine dans la matinée. Elle irait la voir at lui demander l’explication de l’atroce visite de la nuit ; elle se sentait malade, mais le jour la rassurait.
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LA MISÈRE
