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LA MISÈRE

395 Le vieux magistrat aurait bien voulu faire mettre immédiatement Léon-Paul en liberté puisque, évidemment, il y avait erreur de personne, mais il y avait aussi une saisie de papiers accusateurs pris au domicile du prévenu. Ils étaient là ces maudits papiers, bien rangés sur le bureau du juge, détachant sur le vélin leurs titres révolutionnaires : « La fin des Religions. » « La conspiration du bon sens. >> << Guerre aux éteignoirs ! « Recherche des lois sociologiques. 1 Et comme bouquet souligné à l’encre rouge : << LA FIN DES GOUVERNEMENTS ACTUELS. >> Le juge, en entendant le prévenu déclarer qu’il était balayeur, avait pensé que les opuscules saisis chez lui ne lui appartenaient pas autrement que pour les avoir trouvés sur la voie publique ou ailleurs. Jamais il ne serait venu à la pensée du sévère magistrat qu’un homme, dans la situation avouée par LéonPaul, pût se permettre, non d’écrire sur les problèmes sociaux, mais même de lire ce que d’autres écrivent là-dessus. Il demanda : Où avez-vous trouvé ces papiers ? — Nulle part. — Qui vous les a confiés ? — Personne. En connaissez-vous l’auteur ? — Oui. — Pouvez-vous le nommer ? Sans doute. Quel est-il ? Moi. Le juge était stupéfait. Lui qui se piquait de pénétration n’en revenait pas et en voulait presque à Léon-Paul d’avoir trompé ses prévisions. L’extérieur agit sur un magistrat comme sur un autre. La plupart des hommes jugent leurs semblables par les distinctions que la fortune établit entre eux. Mais, cet homme, ce balayeur devait se vanter, selon le suppléant. Il avait parcouru les opuscules délictueux, et quoiqu’ils fussent conçus dans un déplorable esprit de révolte et entièrement subversif, cela était écrit sur un ton élevé et philosophique que ne pouvait avoir un pauvre diable. — Êtes-vous véritablement l’auteur de ces pamphlets ? demanda le magistrat regardant le prévenu d’un œil sévère, et votre aveu ne tend-il pas à dérober le vrai coupable aux coups de la justice ? — Je suis l’auteur des écrits que vous qualifiez de pamphlets. Alors, mon devoir est de vous retenir en prison.