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LA MISÈRE

875 «  Tu me crois fou ! criait le malheureux, mais j’ai bien toute ma raison ; hélas Valentine se meurt, je te dis ! Laisse-moi, laisse-moi, Mathieu ! je suis ton maître. » « Le combat était trop inégal. Le sentiment du devoir doublait les forces du fidèle serviteur. Pouvait-il souffrir que son maître, dans l’état où il était, passât dans les rues d’Issoire pour donner, aux habitants de la petite ville, le spectacle de sa folie. » << Seize ans de souffrances et de prostration avaient usé le corps débile. de M. de Bergonne. Il n’était pas de force, quoique beaucoup plus jeune, à se mesurer avec Mathieu qui, après l’avoir terrassé, lui lia les mains. » Le cuisinier, témoin de la lutte, vint prêter main-forte à son camarade. Ils emportèrent leur maître dans sa chambre, l’attachèrent fortement dans son lit au pied duquel s’assit Mathieu. « Prières, larmes, menaces, le valet n’écouta rien ! Aux plus ardentes supplications du marquis, il répondait : » «  Calmez-vous, pauvre maître, oui, oui ! demain, vous irez à la RocheBrune, quand madame sera revenue ! » > a Mais je te dis qu’elle ne reviendra pas !… Elle se meurt !… Elle est morte ! Va dans la cour, tu trouveras le papier qu’elle m’a écrit avant de partir… Si j’y allais maintenant, je la sauverais peut-être !… Tu ne bouges pas !… bourreau ! bourreau Je t’arracherai le cœur !… Ce papier ! donne-moi ce papier ! Je veux le relire encore ! » « — Je vais le chercher ! monsieur, je vais le chercher ! Mais calmez-vous ! Voilà, si vous étiez tranquille, j’attellerais une voiture fermée, et… » « <-> Oui, ah ! oui ! Mais va donc, chaque minute, chaque seconde, c’est une chance que je perds de sauver Valentine ! >> ― B Quel déliret se disait Mathieu ; je vais, en attendant qu’il se remette un peu, lui chercher ce papier, si papier il y a. Je ne l’ai jamais vu dans un état pire. » << Pendant ce monologue, Mathieu était arrivé dans la cour. Près d’un banc, il aperçut le papier. « Tiens ! tiens ! » dit-il, « ce n’est pas tout à fait une imagination. » « Il remonta, délia une des mains du patient, lui donna l’écrit, referma la porte, assurant qu’il allait atteler. » > « Gustave saisit će papier maculé de larmes. Pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé, il lut et relut le premier paragraphe. » > « Mathieu ne revenait pas ; le marquis, réduit à la plus terrible impuissance, poursuivit sa lecture. » « J’allais être mère !… Mais je n’en savais rien. Cela peut arriver. (Consulte la médecine.) Un fatal concours de circonstances me fit te trahir une fois, une << seule ! Je te le jure sur les cendres de mes aïeux ! » > « Le remords et la punition suivirent de près la faute, dont le jour même je « sentis toute l’horreur avec les premiers tressaillements de la maternité. »