183 Mais embrasse-moi donc, mauvaise tête, dit Pont-Estrade en ouvrant les bras à son ami qui s’y jeta avec effusion. Tous deux étaient fort émus. Voyons, poursuivit Maxis, pourquoi es-tu venu échouer à Issoire ? Ce serait une trop longue et trop ridicule histoire. Ma femme va rentrer. Je vous conterai cela une autre fois. Mais comment m’avez-vous découvert ? — Parbleu ! en te cherchant, absolument comme les astronomes découvrent les planètes, quand ils en ont besoin. Vous avez besoin de moi ? Sans doute. Et pourquoi ? Pour te faire partager ma chance. Excellent ami ! Mais racontez-moi un peu comment vous est venue la fortune. Bêtement Artona, bêtement ! Elle n’est pas le fruit de mon travail et son origine m’impose le devoir d’en chercher un emploi conforme à l’idée que je me fais de la probité. < Voilà l’affaire : « Moi, qui ne crois à rien, je te croyais arrivé à quelque chose et, je vivais en paix, mangeant les dernières pierres de Roche-Brune dans les plaines de l’Inde où j’étais allé pour réaliser des rêves de… chasseur. » Je sais, je sais, interrompit Artona, une fantaisie. — Par ma barbe ! Tu ne sais rien du tout, répondit Pont-Estrade. Je poursuis : « Chasser le tigre, c’est charmant, mais ça ne peut pas durer toujours. Je m’en revins donc aussi gueux que don Quichotte n’ayant pas même un Rossinante. « Je ne sais comment le diable se mêlant de mes affaires, me conduisit à Baden-Baden. Qu’allais-je faire dans cette galère ? Je n’en savais rien moi-même n’ayant pas dix louis en poche, mais par contre, une douzaine de parchemins dans mon sac de voyage. C’était un enjeu comme un autre. Je joue ma baronnie de Tormeil contre vingt mille écus. Je les gagne. Nous doublons les mises, je gagne encore. Nous redoublons, je gagne toujours. » << Mon adversaire, un drapier d’Elbeuf était bleu, rouge, vert, jaune ; son visage passait par toutes les couleurs du prisme. > « Le lendemain, le drapier dégoûté des grandeurs, regrettant ses richesses me cherche querelle. Je lui flanque un bon coup d’épée pour lui apprendre à vivre, avec cela il reprend le chemin de sa Normandie et moi celui de la France. » « Note bien, mon ami, l’origine de mon premier capital et je poursuis, dit Pont-Estrade de son ton dégagé de sceptique. < En passant à Paris, je me fais dorer sur toutes les coutures et je tombe à Lavaure où j’éblouis une tante antédiluvienne que ma famille s’était transmise de père en fils. Une foule d’ardents neveux, de cousins impossibles entouraient la douairière, l’assiégeaient de soins, l’étouffaient de caresses : Veni, vidi, vici, et, cela sans le vouloir, parole d’honneur, j’ai la gloire d’enterrer mon éternelle tante. >
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LA MISÈRE
